En 1565 Saint-Léonard compte cinquante laboureurs. Cinq membres par famille environ, en tout deux cent cinquante habitants tirant du sol toute leur subsistance. Comparé aux gens du Valtin ou de Ban-le-Duc, leur sort paraît enviable, le climat est moins rude, la terre plus fertile. Saint-Léonard devait être un village prospère quand s’abat sur la Lorraine, l’invasion suédoise et française du XVIIe siècle, une guerre qui durera quatre-vingt-dix ans et ravagera le pays.
Pour Saint-Léonard on ne possède aucune précision, mais le village a dû être ravagé, la population décimée par la peste venue de Raon en 1635 car cette épidémie remonta la vallée de la Meurthe. Il fallut aux rares survivants relever les ruines, remettre les cultures en état et mener une chasse impitoyable contre les bêtes fauves qui infestaient le pays.
Deux siècles passèrent, on était à la veille de la Révolution.
Un état dressé en 1789 en vue des élections du 1er degré aux Etats-Généraux donne pour Saint-Léonard cent neuf chefs de famille élisant deux délégués pour se rendre à Saint-Dié à l’assemblée générale pour l’élection des trois ordres : Edit royal du 7 février convoquant les Etats-Généraux. A Mirecourt les électeurs du bailliage des Vosges nomment les députés. Aucun document aux archives départementales n’a été retrouvé concernant les cahiers de doléances du canton de Fraize. Sujets pendant des siècles du duc de Lorraine, ils étaient depuis peu sujets du roi de France.
A Saint-Léonard comme ailleurs on accueillit avec joie les nouvelles réformes qui mettaient fin aux abus de l’ancien régime.
La Lorraine et le Barrois sont divisés en quatre départements. Le département des Vosges en neuf districts. Puis en 1793 la principauté de Salm est annexée, comme dixième district ou arrondissement.
Le district de Saint-Dié comprenait neuf cantons : celui de Saint-Léonard se composait de Saint-Léonard-Taintrux, la Bourse, les Rouges et Basses-Eaux, Anould-Mandray, Entre-Deux-Eaux, Saulcy, jusqu’en 1801 où Saulcy et Taintrux furent rattachés au canton de Saint-Dié. Le reste devint canton de Fraize par la suite.
Le 3 nivôse An II, Saint-Léonard comme toutes les communes changent de nom : elle ne doit plus rappeler la féodalité. C’est pourquoi après une délibération du conseil de la commune elle s’appelle Léonardmont. Elle ne reprendra son nom qu’après la chute de Robespierre.
Le XIXe siècle pourtant si fertile en événements et si près de nous laisse un grand vide dans les archives. Quelques brides dans les histoires locales. On sait seulement que depuis la Révolution Saint-Léonard avait sa Garde Nationale. Il en est fait mention à propos d’une battue générale contre les loups où elle y participe le 14 janvier 1802 (24 nivôse An X) dans les forêts de la montagne Saint-Martin et du Kemberg.
Le 3 mai de la même année (13 floréal An X) nouvelle battue vers Taintrux-Foucharupt et le Kemberg. Comme ces battues ne suffisent pas on offre une prime de 50 F par animal abattu.
La Garde Nationale de Saint Dié envoya-t-elle un délégué à Paris pour le sacre de l’empereur Napoléon le 2 décembre 1804, on l’ignore totalement. Aucun renseignement sur l’épopée napoléonienne. Combien de blessés ? Combien de morts ? Leurs noms sont tombés dans l’oubli. Du 6 janvier à fin février 1814, passage des troupes bavaroises se dirigeant vers Saint-Dié… ( Réquisitions du bétail, des grains, du fourrage ; c’est une très lourde contribution)
1817 : Saint-Léonard, Saulcy, Taintrux approvisionnent en pommes de terre le marché de Saint-Dié. Les vivres se font rares. Le pays est ruiné une fois de plus.
1828 : le 12 septembre c’est le passage de Charles X se rendant de Colmar à Lunéville par le Col du Bonhomme. Une vingtaine de voitures encadrées de cavaliers. Parti de Colmar à huit heures du matin, accueilli au col à dix heures par une foule endimanchée il met pied à terre pour une rustique ovation. Nouvelle étape à Fraize pour changer les chevaux, nouvelle réception. Il est midi quand le cortège royal file au grand trot vers Saint-Dié, dans un roulement de tonnerre, traverse Saint-Léonard entre deux haies de paysans qui poussent des « Vive le Roi ! ».
Quelle déception ! Nos gens n’ont pas eu le temps de voir le roi. Mécontents de s’être dérangés pour rien, ils courent en hâte vers leurs prés rentrer leur regain, car l’orage s’annonce tout proche en jurant qu’on ne les y reprendrait plus.
1852 : un grand procès entre les Domaines et la famille de Bazelaire de Lesseux qui revendique la propriété des forêts de Longchamp ayant appartenu aux comtes de Ribeaupierre (ancien seigneur de Saulcy) dont les communes de Saint-Léonard et Saulcy sont propriétaires depuis un temps immémorial. Le 17 juin 1852, les demandeurs sont déboutés.
Au cours du siècle la population a doublé. En 1804 elle était de 612 habitants en 1830 de 947. En 1887 1220 habitants. On y a construit une gare puisque le chemin de fer Epinal-Saint-Dié y passe, un tissage à Contramoulin, une scierie à Saint-Léonard et une tuilerie à Mardichamp.
1870-71 : c’est la guerre et la capitulation. Ce n’est que le 28 septembre que les armées allemandes pénètrent dans les Vosges par la vallée de Celles-sur plaine. Le Préfet Georges organise la résistance (avec la bataille de Nompatelize). De Saint Dié qu’ils ont occupé les ennemis poussent des pointes dans la vallée de la Meurthe. Le 10 octobre les Allemands tombent dans une embuscade à Anould. Obligés de se retirer, ils mettent le feu à plusieurs maisons et frappent le pays de grosses réquisitions.
Vers la mi-octobre de cette même année à l’appel de Gambetta des volontaires de la région avaient répondu nombreux. Ces recrues furent incorporées à la 21e légion de marche d’Alsace et de Lorraine et un certain nombre à l’armée de Bourbaki. Les événements se déroulent loin de notre vallée. A Saint-Léonard ils s’emparent de J.-B. Faleyeux, l’accusant d’être un franc tireur, le contraignant à les guider à travers la forêt jusqu’à Vanémont.
Fin janvier 1871, après un cruel hiver et la capitulation de Paris c’est la fin de la guerre. C’est aussi la fin de la prospérité de Saint-Léonard. La frontière est fermée, elle suit les crêtes Col de Bussang, Col de la Schlucht, Col du Bonhomme, Col de Wisembach, Col du Hantz, Col du Donon. Saint-Léonard est pourvu d’un poste de douanes en arrière de celui du Col du Bonhomme.
Mais nous avons perdu tout le trafic routier. Un service de diligence reliait Colmar à Saint-Dié tous les jours. Les lourds chariots des rouliers transportant le blé et les vins d’Alsace allaient jusqu’au Havre chercher les balles de coton pour les tissages de Mulhouse, soit cinq à six semaines aller et retour. Ils s’arrêtaient à Saint-Léonard. L’hôtel du Saumon leur offrait le vivre et le couvert, un vaste dortoir et de grandes écuries.
Des tissages s’établissent le long de la Meurthe utilisant la force hydraulique à Plainfaing à Fraize et Saint-Léonard et donnent du travail à toute la vallée.