C’est quoi la guerre ?
Lorsqu’on a six ans, on ne comprend pas bien ce que c’est que la guerre. Depuis des jours et des jours, j’entendais dire :
« On va avoir la guerre, la frontière au col du BONHOMME est fermée ! »
J’ai vu partir mon père… à la gare, il est monté dans le train pour Saint-Dié avec des hommes qui criaient, qui chantaient… Il y avait des drapeaux aux portières, on aurait dit la fête, pire qu’au 14 Juillet. Il y avait plein d’inscriptions à la craie sur les wagons :
« Dans 15 jours à BERLIN ! »
Je ne comprenais pas pourquoi ma mère et les autres femmes pleuraient.
J’ai su après que mon père, au 10° chasseur à pieds, se battait en Alsace contre les Allemands.
Puis on a vu passer des gens qui s’enfuyaient avec des voitures à bœuf et des brouettes dans lesquelles était entassé tout ce qu’ils avaient pu emporter, les enfants assis par-dessus, et on entendait, au loin, un bruit sourd comme le tonnerre. Ils nous ont crié :
« Les allemands arrivent, ils brûlent nos maisons, ils ont emmené des civils… »
C’était donc cela, la guerre ! Et tout le monde pleurait.
Puis, plus rien ne passait sur la route, et tout le monde au village fermait ses volets. Nous n’allions plus à l’école et le bruit du canon se rapprochait.
L’arrivée des allemands
Un matin, le 28 Août, en regardant à travers les persiennes, nous avons vu arriver les allemands, tout un régiment qui campait devant chez nous !
Bientôt, il y eut de grands coups de pieds dans la porte. Ma mère s’en fut ouvrir, ma petite sœur de six mois dans les bras, et moi, cramponnée à sa jupe. Un officier et quatre soldats en armes visitèrent la maison de la cave au grenier. Ils voulaient s’assurer qu’il n’y avait pas de francs-tireurs cachés à l’intérieur. Revenus au rez-de-chaussée, ils demandèrent à manger. Ma mère leur servit du pain et du vin, mais ils nous obligèrent à manger d’abord. Rassurés sans doute, ils s’adoucirent (eux aussi, sans doute, avaient des enfants de notre âge), puis ils s’en allèrent, et, dans la soirée, ils nous apportèrent des bonbons. C’était un régiment de Bavarois.
La veille de leur arrivée, ils avaient envoyé en reconnaissance une estafette, un uhlan ! Toujours derrière les volets, nous l’avions vu arriver sur son cheval, lance au poing. Coïncidence ! Arrivait en même temps d’Anould, un dragon français, également lance au poing, et en gants blancs !
Après deux coups de revolver, chacun fit demi-tour…
Les bombardements
Je ne comprenais toujours rien à la guerre…mais, j’allais bientôt comprendre, car les bombardements commencèrent. La première maison qui brûla fut la cure, puis la maison PERROTEY (les allemands visaient la gare et la ligne de chemin de fer), puis la maison HOUVION, puis la scierie ANDRE.
Un des premiers obus tomba dans l’escalier de notre cave en faisant un gros trou, en détruisant la fenêtre de la cuisine et en projetant en l’air, les oies, les poules et les canards. J’ai eu très peur, car nous étions justement dans la cave : on avait de la fumée plein la gorge et les yeux. Mais, après, j’étais bien contente, car on a mangé les poules blessées.
Et on vit alors arriver les premiers prisonniers allemands dans la cour de l’école (on les avait mis au violon !). Ils s’étaient, pour la plupart, rendus sans combat, pour la bonne raison que c’étaient des alsaciens de LAPOUTROIE et qu’ils avaient des parents dans la région.
La femme de Monsieur LEROY, l’hôtelier, qui était de LAPOUTROIE, leur rendit visite et leur apporta du ravitaillement. Les soldats français, faillirent la fusiller comme traître et espionne.
L’exode
Les bombardements s’intensifiant, une nuit vers 23 heures, les soldats français nous obligèrent à quitter les caves où nous dormions et ce fut l’exode.
Il faisait froid. Il y avait des soldats morts ou blessés tout le long de la route d’ANOULD (via CORCIEUX).
Ma mère poussait la voiture d’enfant avec mes deux sœurs et on m’avait confié la garde de l’horrible petit roquet d’une voisine. Je devais le tenir en laisse. Cette sale bête a réussi à se sauver. Il a fallu lui courir après, sous les obus, dans la cohue des fuyards, et j’ai reçu une gifle dont je me souviens encore !
De CORCIEUX, nous sommes parties vers ARCHES, toujours à pied. Nous allions chez la fille de notre voisine, Madame VALENTIN, institutrice au HARIOL, près de PLOMBIERES.
A ARCHES, des militaires russes auant pitié de nous, nous chargèrent dans leur camion. Pour moi, c’était la fête ! Je n’étais jamais montée dans un camion militaire, et surtout, je ne marchais plus !
Là, ce furent de merveilleuses vacances : les lièvres venaient manger les choux dans le jardin, nous n’allions plus à l’école…et j’allais à la maraude avec les enfants du village. Plus jamais je n’ai mangé d’aussi bonnes pommes, ni passé d’aussi belles vacances.
Le retour
En 1915, nous étions revenues à Saint Léonard et je retournais à l’école. Notre institutrice, Madame BEL, était très peureuse…A chaque alerte, nous descendions à la cave, nos masques à gaz en bandoulière. Il y en avait de deux sortes : les kakis, avec un museau comme un groin de porc, et les bleus à face plate.
Les yeux protégés par des hublots de mica, quel supplice de respirer là-dessous ! J’étouffais pendant les exercices…
Par contre, quelle joie d’aller à la cave pendant les alertes…J’avoue humblement avoir été du nombre de celles qui mangeaient les carottes et les pommes de Madame BEL. Dame ! Que vouliez-vous faire, dans le noir, pendant une alerte ?
Les avions
Et nous avons vu les premiers avions !
C’était merveilleux, fantastique ! On aurait dit des oiseaux !
Le terrain d’aviation aurait dû être à Saint-Léonard, mais les Allemands l’auraient vu depuis le Spitzemberg, c’est pourquoi ce terrain était à CORCIEUX.
Lorsqu’ils passaient au-dessus de nous, un peu plus haut que le clocher, on voyait le pilote avec son casque et sa mitrailleuse en avant. Par la suite, ils étaient deux, avec le mitrailleur à l’arrière.
Il y eut un jour une rencontre au-dessus du clocher avec un avion Allemand. J’ai entendu des rafales de mitrailleuses, mais, à mon grand regret, je n’ai rien vu du combat, car on nous avait fait descendre à la cave.
On ne parlait et ne rêvait que de FONCK…qui était presque de Saint-Léonard…SAULCY n’est pas si loin, après tout !
Récit de Yvette Mathis paru dans « Le Concorde »